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08 décembre 2023

Des nouvelles du projet WINTRE-MIX

Granules de glace, neige roulée, pluie verglaçante – et ce n’est qu’un début!

Certaines tempêtes hivernales couvrent le sol d’un glorieux manteau blanc. D’autres l’assaillent de détestable grésil. Et d’autres encore abattent sur lui une terrible pluie verglaçante qui laissera dans son sillage glace et destruction. Il est essentiel, pour le monde humain comme pour le monde naturel, que l’on puisse comprendre et prévoir le type de précipitation qui va survenir lorsqu’approche le point de congélation. Or, cela demeure l’un des grands défis de la météorologie moderne.

Voilà un an, nous écrivions un article sur WINTRE-MIX : une expérience révolutionnaire, menée en partie sur la Réserve naturelle Gault, par une équipe de recherche multinationale. Ces chercheurs et chercheuses cherchent à expliquer pourquoi une tempête l’hiver signifiera tantôt une belle journée de ski, tantôt la chute des lignes électriques et l’état d’urgence. Les premiers constats ont été publiés récemment, et dressent l’une des images les plus limpides à ce jour des tempêtes hivernales et des précipitations qu’elles amènent.

Plus qu’une dichotomie pluie/neige

Lorsque la température de l’atmosphère se maintient soit au-dessus, soit au-dessous du zéro Celsius, le type de précipitations se prévoit assez bien. Par exemple, si la masse d’air au-dessus de nos têtes est sous le point de congélation, on aura de la neige. Si c’est l’inverse, on aura de la pluie. Nous avons même des modèles physiques et météorologiques capables de déterminer la quantité et le type de ces précipitations.

Les choses se corsent toutefois quand, avec l’altitude, la température passe de part et d’autre du point de congélation. Dans ces conditions, les flocons qui se forment haut dans les nuages fondent, se recongèlent, s’amalgament dans leur chute. Selon les variations dans la température de l’air et les types d’interactions qu’ils pourront avoir dans leur périple jusqu’à la terre ferme, nos flocons pourront se métamorphoser en toute la gamme des précipitations hivernales : neige, pluie, grésil, verglas, cristaux, granules…

Un diagramme en quatre volets montre de la forme des précipitations selon les variations de température. De gauche à droite : neige – la température reste sous zéro du nuage au sol; grésil – la neige fond en passant par une mince couche d’air au-dessus de zéro, mais se recongèle avant de toucher le sol; pluie verglaçante – la neige fond en passant par une épaisse couche d’air au-dessus de zéro, mais se recongèle au contact du sol plus froid; pluie – l’air se réchauffe sous le nuage et se maintient au-dessus du point de congélation jusqu’au sol.

Ce diagramme simplifié montre le genre de variation de température qui donne lieu à la neige, au grésil, à la pluie verglaçante et à la pluie (photo : Minder et coll., 2023)

Pour avoir de la pluie verglaçante, par exemple, il faut que la neige rencontre dans sa chute une couche atmosphérique assez chaude pour la faire fondre. Devenue pluie, elle conservera sa phase liquide jusqu’à ce qu’elle frappe le mince coussin d’air au-dessus du sol plus froid que le point de congélation. La goutte de pluie, qui n’a pas le temps de se changer en glace avant de toucher terre, se solidifie plutôt sur la surface où elle atterrit. Résultat : une couche de glace solide s’accumule sur les arbres, les routes, les lignes électriques.

Les sortes de précipitations qui se manifestent autour du point de congélation ont chacune leurs propres particularités, conditions de formation, et implications pour l’activité humaine et pour l’écosystème terrestre. Elles sont également hautement réactives aux conditions locales. D’après les chercheurs et chercheuses de WINTRE-MIX, elles « sont sensibles à des variations de température aussi minimes qu’une hausse ou baisse de 0,5 °C », variations qui se produisent souvent à des altitudes difficiles à mesurer avec des outils météorologiques traditionnels. De fait, la prévision des précipitations en hiver lorsque le mercure approche zéro demeure le grand problème des météorologues.

La méthodologie de WINTRE-MIX

Photomontage des différents instruments météorologiques employés, notamment : un petit avion aux ailes munies de capteurs; différents types de capteurs au sol; des radars mobiles transportés par camion-remorque; des ballons-sondes.

Exemples de radars et autres instruments aériens et terrestres employés dans le projet WINTRE-MIX (photo : Minder et coll., 2023)

Pour raffiner les modèles prévisionnels, l’équipe de WINTRE-MIX s’est lancée dans une étude aussi vaste qu’ambitieuse de la région allant de la vallée du Saint-Laurent à celle du lac Champlain. C’est ainsi qu’à l’hiver 2022, ces scientifiques de neuf instituts canadiens et américains ont établi des stations de recherche dans l’État de New York, au Vermont, en Ontario, et au Québec (dont l’une ici, dans la Réserve Gault). Capteurs à l’affût, ces stations ont capturé par différentes méthodes ce qui se passait dans l’atmosphère à chaque nouvelle tempête hivernale sur ce grand pan de territoire.

L’équipe a fait ses observations à une échelle tantôt aussi petite qu’une goutte de pluie, tantôt aussi grande que l’entièreté de la vallée du Saint-Laurent. Elle a par exemple placé des capteurs au sol dans la Réserve et sur les ailes d’un aéronef pour quantifier des facteurs minuscules, comme la taille et la forme des cristaux de glace pris individuellement. En même temps, elle employait d’un côté des radars pour suivre l’intensité des précipitations à la grandeur de la vallée du Saint-Laurent, et synchronisait de l’autre le lancement de ballons-sondes pour prendre des mesures parallèles de la température, de la pression barométrique et de la vitesse des vents au-dessus de chaque station de recherche. Tous ces efforts ont permis de prendre les relevés les plus détaillés jamais vus sur les conditions de formation des différents types de précipitations hivernales.

Nouvelles données et perspectives

Dans sa toute première publication, l’équipe de recherche emploie les données à plusieurs échelles qu’elle a recueillies pour décrire de six points de vue différents une tempête particulièrement complexe qui s’est produite le 23 février 2022. Puis, à partir de cette étude de cas et des observations faites à l’échelle régionale, locale et microscopique, elle fait ressortir les corrélations entre les différents facteurs et le type de précipitation hivernale.

Deux macrophotographies mettant en contrastes deux types de précipitations hivernales. L’image a) montre un mélange de granules sphériques de 1 mm et de colonnes faisant moins de 0,5 mm. L’image b) montre les mêmes granules sphériques, mais aussi des structures en aiguille plus longues (environ 2 mm).

Deux macrophotographies, prises à deux heures d’intervalle, durant la tempête qui s’est produite le 22 février à la station de recherche de Sorel, au Québec. On y voit des granules de glace accompagnée de structures cristallines plus fines, respectivement en forme de colonnes sur la photo a) et en forme d’aiguilles plus allongées sur la photo b) (photo : Minder et coll., 2023)

L’équipe remarque ainsi à travers ses différents prismes d’analyse plusieurs phénomènes particuliers.

Entre les stations au sol, les ballons et les images radar, on relève des zones où s’est produit un regel inattendu : les modèles météorologiques classiques prédisaient de la pluie verglaçante à ces endroits, mais ce sont des granules gelées de part en part qui sont plutôt tombées. L’explication avancée dans l’article? Les cristaux de glace secondaires, comme ceux observables sur les photos a) et b), auraient pu accélérer la solidification.

L’équipe a aussi fait l’observation, grâce à ses radars à effet Doppler et ballons-sondes, de courants d’air modifiés par le relief du sol. Ces vents de surface froids ont remonté la vallée à contresens de la dynamique générale des masses d’air, et ce, en raison de la topographie environnante. Et ils ont amené avec eux des températures inférieures à zéro, ce qui a modifié les précipitations et aurait contribué au regel rapide qui s’est observé au sol certains endroits. La variation en intensité et le déplacement de ces courants, à différents moments durant la tempête, ont ainsi donné lieu au mélange changeant de grésil et de pluie verglaçante qui s’est abattu sur la vallée.

Devant les phénomènes qu’elle observe par son approche multiscalaire, l’équipe de recherche se retrouve avec autant de questions que de réponses. Quelle est la cause du refroidissement soudain qui s’est produit pendant cette tempête? Quel rôle les cristaux secondaires ont-ils joué dans la formation des granules de glace? Pourquoi les courants modifiés par la topographie ont-ils persisté à certains endroits et pas à d’autres? Et comment utiliser ces observations pour affiner nos prévisions météorologiques?

Enfin, grâce à ce premier article, la communauté scientifique est plus proche – à une tempête près – de saisir toute la complexité les précipitations en conditions de gel-dégel. Simplement, comme toute bonne expérience scientifique, le projet WINTRE-MIX a amené une pluie de nouvelles questions de recherche. Mais surtout, il a produit un lot de données ouvertes et de haute qualité sur une saison entière qu’il ne reste qu’à décortiquer!

À propos de l'équipe de recherche

Le projet WINTRE-MIX est mené par des chercheurs américains de l’Université d’Albany (Justin Minder, Ph. D. et Nick Bassill, Ph. D.), de l’Université du Wyoming (Jeffrey R. French, Ph. D. et David Kingsmill, Ph. D.) et de l’Université du Colorado (Katja Friedrich, Ph. D. et Andrew Winters, Ph. D.), et par le Conseil national de recherches du Canada (Leonid Nichman, Ph. D. et Cuong Nguyen, Ph. D.).

Ceux-ci ont collaboré avec des scientifiques locaux : John Gyakum, Ph. D., Frédéric Fabry, Ph. D. et Daniel Kirshbaum, Ph. D., du Département des sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill, et Julie M. Thériault, Ph. D., de l’UQAM (Université du Québec à Montréal).

Pour en savoir plus sur le projet WINTRE-MIX, consulter son site Web ou son fil Twitter.

À propos de l'article

Minder, J. R., Bassill, N., Fabry, F., French, J. R., Friedrich, K., Gultepe, I., Gyakum, J., Kingsmill, D. E., Kosiba, K., Lachapelle, M., Michelson, D., Nichman, L., Nguyen, C., Thériault, J. M., Winters, A. C., Wolde, M., & Wurman, J. (2023). P-type Processes and Predictability: The Winter Precipitation Type Research Multiscale Experiment (WINTRE-MIX). Bulletin of the American Meteorological Society, 1(aop). https://doi.org/10.1175/BAMS-D-22-0095.1

Greg Roberts
Assistant aux opérations de terrain
Réserve naturelle Gault de l’Université McGill

En-tête : Karel Veilleux (gauche) et Juliann Wray (droite) s’apprêtent à lancer une sonde météorologique dans le ciel nocturne (photo : Alex Tran)

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