Un bol de verre. Une boîte de flocons que l’on secoue. Un poisson rouge. Voilà qui rappellera à plusieurs des souvenirs de leur premier animal de compagnie. Mais, ne vous en déplaise, ce vieil ami peut vite devenir un vrai trouble-fête écologique.
Tout inoffensif qu’il puisse sembler, le poisson rouge ne se contente pas de survivre lorsqu’on le relâche dans la nature : il prospère. C’est ainsi que dans les plans d’eau douce autour du monde, les poissons rouges font des ravages. Ils troublent l’eau, déséquilibrent les systèmes naturels, et supplantent même les espèces indigènes. Car ce petit poisson deviendra grand… et grandement problématique.
Les impacts à l’étude… à Gault!
Emma Schubert, étudiante au doctorat à McGill et récipiendaire d’une bourse de recherche Gault, mène des expériences pour comprendre comment ces envahisseurs modifient les écosystèmes.
Elle utilise de grands bassins extérieurs aux paramètres contrôlés, appelés mésocosmes, qui reproduisent les conditions naturelles des étangs. Ces installations font partie du Laboratoire pour les écosystèmes aquatiques perturbés (LEAP), un laboratoire qui fournit aux chercheuses et chercheurs une ressource précieuse : l’eau canalisée depuis le lac Hertel, non loin de là. Cette eau contient les microorganismes (plancton, bactéries, microalgues) naturellement présents dans l’écosystème. Elle reproduit donc mieux les conditions d’un écosystème d’eau douce que l’eau du robinet.

Les mésocosmes expérimentaux d’Emma à Gault (photo : Alex Tran)
Le problème de la turbidité
Un axe majeur de la recherche d’Emma est la turbidité de l’eau, à savoir à quel point elle devient trouble ou bourbeuse lorsque les particules sont remuées. Les poissons rouges se nourrissent en aspirant et recrachant le sable, ce qui trouble l’eau. La doctorante a étendu du sable au fond de ses mésocosmes, puis introduit des poissons rouges pris dans l’Étang Burbank à Danville, au Québec; un plan d’eau où leur population est particulièrement importante.
L’expérience : tester si la présence accrue de poissons rouges se traduit par une hausse de la turbidité et même de la température de l’eau, et examiner comment le tout se répercute sur la croissance des algues.

Emma Schubert est supervisée par Anthony Ricciardi, professeur au musée Redpath et directeur à l’École de l’environnement Bieler (photo : Alex Tran)
Pourquoi se soucier de la turbidité? Parce que si l’eau ne laisse plus filtrer la lumière, la photosynthèse des algues et plantes subaquatiques va cesser. Le taux d’oxygène dissous va alors chuter, menaçant tout l’écosystème. Poissons, amphibiens, et insectes… tous vont en souffrir. Les poissons rouges se nourrissent aussi d’œufs, de larves et de végétation, au détriment d’espèces indigènes comme les tritons qui en ont aussi besoin pour s’alimenter et s’abriter.
De l’aquarium à nos étangs
Les poissons rouges sont originaires de Chine, mais on les retrouve désormais dans la majorité des bassins d’eau douce (sauf en Antarctique). Leur propagation est principalement le fait de propriétaires qui les relâchent dans les étangs et lacs lorsqu’ils ou elles ne veulent plus s’en occuper. Or, les poissons rouges se reproduisent vite et s’acclimatent facilement à leur environnement.
En quelques générations à l’état sauvage, l’éclatante coloration rouge orangé qu’ils affichaient à l’animalerie passe à un brun naturel les camouflant contre les prédateurs. Ils peuvent ainsi être présents dans les plans d’eau autour de vous sans même que vous vous en aperceviez.


Variations de couleur s’observant dans la population de poissons rouges relâchés dans la nature (photo : Alex Tran)
Comment faire sa part?
Un grand message ressort de la recherche d’Emma : il ne faut jamais relâcher un poisson d’aquarium dans la nature. Le geste peut sembler une goutte dans l’océan, mais à force, il peut perturber un écosystème entier.
Voici des avenues responsables si vous devez vous défaire d’un poisson rouge :
- Lui trouver un nouveau foyer chez une personne de votre entourage.
- Voir si un aquarium ou une école du coin pourrait le reprendre.
- Le retourner à l’animalerie.
- L’apporter à la SPCA.
C’est ainsi que vous pouvez contribuer à protéger la biodiversité et à limiter la propagation des espèces envahissantes.
À propos de la chercheuse
Emma Schubert fait son doctorat sous la supervision d’Anthony Ricciardi, professeur au musée Redpath et directeur à l’École de l’environnement Bieler de McGill. Son intérêt pour l’étude des espèces envahissantes a commencé dans le cadre de projets sur le lac Supérieur, où elle évaluait l’impact des lamproies marines sur le touladi avec l’Unité de gestion des ressources des Grands Lacs supérieurs, au ministère des Richesses naturelles de l’Ontario.
En dehors de la recherche, Emma est amatrice de randonnée et de camping, et s’adonne aussi au patinage artistique ainsi qu’au crochet.
Note sur le bien-être animal dans la recherche
Toute la recherche menée sur des animaux à l’Université McGill suit des protocoles de soin rigoureux et des directives éthiques strictes. Les expériences d’Emma sont supervisées par un vétérinaire et le projet a été approuvé après validation qu’il est mené sans cruauté. Aucun comportement anormal ni maladie n’a été observé.
Corinne Lapierre
Assistante aux opérations de terrain en 2025
Réserve naturelle Gault