Les changements climatiques affectent la santé des lacs autour du globe de façon complexe. Dans les régions comme le Québec, ce phénomène entraîne le gel plus tardif des lacs à l’automne. Cependant, la science ignore encore largement les effets de ces changements sur les organismes vivant sous la glace.
En 2018, Marie-Pier Hébert a réalisé une étude sur les mésocosmes du lac Hertel pour explorer la question. Afin de simuler les effets d’un gel retardé, l’équipe de recherche a brisé quotidiennement la glace se formant à la surface de l’eau au début de l’hiver. D’après les résultats récemment publiés, le retard du gel entraîne de nombreuses variations dans la chaîne alimentaire aquatique, variations qui ont été observées non seulement pendant l’hiver, mais aussi au printemps suivant. Alors que certaines espèces ont bénéficié d‘un gel retardé, d’autres pourraient être pénalisées.
Résultats de l'étude
En brisant la glace à la surface de l’eau et en retardant le gel, l’équipe a provoqué une réaction en chaîne. Cette intervention n’a pas modifié la température de l’eau, mais a permis à davantage de lumière d’en pénétrer la surface. Cette augmentation a créé des conditions plus favorables pour les organismes photosynthétiques qui dépendent de la lumière pour survivre. Les algues, notamment, ont foisonné.
Puisque les algues sont tout au bas de la chaîne alimentaire des écosystèmes d’eau douce, la variation de leur concentration peut avoir des effets sur de nombreuses autres espèces. Marie-Pier a découvert que l’abondance d’algues faisait proliférer certaines espèces de zooplanctons qui s’en nourrissent (tels de petits herbivores) et qui ont ainsi pu accumuler de plus grandes réserves de gras. Certains zooplanctons placés plus haut dans la chaîne alimentaire se nourrissent des petits zooplanctons herbivores; chez certaines espèces, la plus grande quantité de proies de qualité semble avoir permis à un plus grand nombre d’individus de survivre à l’hiver.
Néanmoins, si le retard du gel est bénéfique pour certaines espèces de zooplanctons, il ne l’est pas pour toutes. En effet, les espèces qui ne peuvent pas survivre aux températures hivernales n’enregistrent pas un meilleur taux de survie, malgré l’abondance relative de nourriture. Elles pourraient même être désavantagées au printemps, leurs compétiteurs et prédateurs étant alors présents en plus grand nombre au moment de la fonte.
Marie-Pier Hébert sur les mésocosmes du lac Hertel (photo : James Mager)
Une étude innovatrice
La plupart des chercheurs s’intéressant aux écosystèmes d’eau douce sous la glace mesurent des facteurs abiotiques (non vivants); l’équipe de Marie-Pier Hébert a donc été parmi les premières à étudier les organismes vivants. Elle a démontré que des infrastructures de recherche comme les mésocosmes du lac Hertel peuvent aider les autres scientifiques à mieux comprendre les effets des changements climatiques sur la santé des lacs dans l’avenir.
À propos de l'article
Warming winters in lakes: Later ice onset promotes consumer overwintering and shapes springtime planktonic food webs par Marie-Pier Hébert et al. a été publié dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
DOI : doi.org/10.1073/pnas.2114840118
Ce projet s’inscrit dans le doctorat de Marie-Pier Hébert. Il a été réalisé sous la supervision de Gregor Fussmann (Université McGill) et de Béatrix Beisner (Université du Québec à Montréal).
Frédérique Truchon
Chargée des communications
Réserve naturelle Gault de l’Université McGill
En-tête : Charles Bazerghi brise la couche de glace se formant dans les mésocosmes du lac Hertel (photo : James Mager)