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07 septembre 2023

L’histoire de deux parasites

Le hêtre à grandes feuilles

Le hêtre à grandes feuilles (Fagus grandifolia) est l’une des espèces d’arbres les plus emblématiques et les plus vitales du mont Saint-Hilaire. Sa belle écorce lisse en fait l’arbre favori des adeptes de la randonnée et des peintres-paysagistes. Mais le hêtre à grandes feuilles ne se résume pas qu’à sa beauté esthétique : c’est également une espèce importante pour l’écologie de notre forêt. Ses nombreuses noix à coquille hérissée constituent une source de nourriture essentielle pour les écureuils, les tamias, les oiseaux et les insectes. Ses branches, son feuillage et ses cavités constituent un habitat tout aussi essentiel pour les mésanges et les autres espèces arboricoles. En raison de leur chimie unique, les feuilles sont particulièrement importantes pour la séquestration du carbone et les habitats du sol.

Nos hêtres sont particulièrement précieux pour deux organismes. Bien que l’humain et le tamia dépendent du hêtre à grandes feuilles, ils se trouvent également en abondance là où il est inexistant. En revanche, la cochenille du hêtre et l’épifage de Virginie en dépendent tous deux entièrement pour se nourrir et s’abriter. Ce sont des parasites.

Qu’est-ce qu’un parasite?

Un parasite est un organisme qui habite sur ou dans un autre organisme hôte et qui se nourrit aux dépens de celui-ci. Contrairement à la symbiose des champignons mycorhiziens, qui profite à la fois aux champignons et aux plantes, cette interaction n’est bénéfique que pour le parasite.

Dans la conscience populaire, les parasites sont considérés comme de vilaines petites créatures : les ténias, les larves de xénomorphe de la franchise Alien, les tiques, etc. Ce sont tous des parasites pathogènes. Qu’ils soient fictifs ou non, ils causent des dommages importants et des maladies à leur hôte. Cependant, il existe également des parasites non pathogènes qui exploitent les ressources de leur hôte sans être réellement préjudiciables à sa santé.

Cela peut sembler contre-intuitif, mais il suffit de regarder nos chers hêtres pour constater la différence entre les parasites pathogènes et non pathogènes.

Maladie corticale du hêtre

L’écorce grise et lisse d’un hêtre.

L’écorce grise et lisse d’un hêtre à grandes feuilles en santé (photo : Greg Roberts)

Écorce noueuse et déformée d’un hêtre infecté par la maladie corticale du hêtre.

La maladie corticale du hêtre endommage l’écorce du hêtre à grandes feuilles, modifiant radicalement son apparence (photo : Greg Roberts)

Alors qu’un tronc sain de hêtre à grandes feuilles est remarquablement lisse et gris, un parasite pathogène commence à les déformer au mont Saint-Hilaire et partout au Québec. La cochenille du hêtre (Cryptococcus fagisuga) est un insecte qui infeste l’écorce du hêtre et s’en nourrit abondamment. Originaire d’Europe, cette espèce envahissante est particulièrement dommageable pour le hêtre à grandes feuilles, dépourvu de mécanismes de défense naturels contre les infestations.

Les répercussions de la cochenille du hêtre sont aggravées par un champignon opportuniste, le Nectria, qui infecte les plaies de l’écorce et provoque la prolifération de la cochenille. C’est cette infection combinée de cochenilles et de champignons qui est à l’origine de la maladie corticale du hêtre. Les deux infections se produisant simultanément, le système immunitaire de l’arbre s’emballe. Autour de chaque foyer d’infection se forment des chancres de tissu cicatriciel qui déforment l’écorce lisse en une ruine craquelée.

Gros plan de l'écorce d'un hêtre avec des champignons blancs et de petits insectes rouges.

Ce gros plan révèle la présence de cochenilles et du champignon causant la maladie corticale du hêtre (photo : Alex Tran)

Malheureusement, la maladie corticale du hêtre ne cause pas seulement des dommages superficiels : elle limite la capacité d’un arbre infecté à transporter des nutriments dans son tronc, ce qui le rend particulièrement vulnérable à d’autres stress environnementaux comme la sécheresse. Normalement, un hêtre peut vivre plus de 200 ans, mais un arbre infecté survit rarement plus de 10 ans.

Combinée au broutage par les cerfs et aux changements climatiques, cette maladie menace la viabilité à long terme de nos hêtres bien-aimés et, par conséquent, la composition globale de notre écosystème forestier.

Épifage de Virginie

Une grappe de courtes plantes brunes sans feuilles ayant de petits boutons de fleur le long de la tige.

Une colonie d’épifages de Virginie (photo : Alex Tran)

Délaissons le tronc un moment pour nous tourner vers les racines du hêtre, où l’on trouve un autre parasite, beaucoup plus sympathique cette fois : l’épifage de Virginie (Epifagus virginiana). Même s’il est plutôt banal à première vue (on pourrait le confondre avec une simple brindille tombée), il ne faut pas se fier à son apparence. L’épifage de Virginie est une espèce extraordinaire présente uniquement sur les racines des hêtres dans l’est de l’Amérique du Nord.

L’épifage de Virginie est une plante non photosynthétique qui a évolué pour tirer tous ses nutriments du système racinaire des peuplements de hêtres. Plutôt que de se nourrir du soleil comme la plupart des plantes, l’épifage de Virginie produit des structures spécialisées qui perforent les racines de hêtre et y puisent de l’énergie. Ce type de parasite racinaire peut parfois devenir pathogène et causer des dommages à l’arbre hôte, voire sa mort. Heureusement, l’épifage de Virginie ne fleurit qu’une saison après avoir atteint sa maturité4. Il ne vit donc pas assez longtemps pour causer des dommages durables à son hôte.

L’épifage de Virginie est un cohabitant éphémère et bénin pour le hêtre à grandes feuilles. C’est comme un sous-locataire d’été que l’on tolère sans l’aimer pour autant. Pour les aménagistes forestiers et le milieu de la recherche, il s’agit toutefois d’une espèce extrêmement utile.

En soi, les hêtres ont une croissance lente; il leur faut beaucoup de temps pour coloniser de nouveaux environnements et devenir des forêts matures et saines. L’épifage de Virginie prend encore plus de temps, car il ne peut s’établir que lorsqu’un hêtre a déjà un réseau racinaire dense dans le sol. En raison de cette longue période d’établissement, les scientifiques utilisent l’épifage de Virginie comme une espèce indicatrice de la santé globale de la forêt. On le trouve exclusivement dans les forêts, comme celles du mont Saint-Hilaire, qui n’ont pas été endommagées par des activités humaines intensives.

L’avenir de nos forêts

Comme le montrent l’épifage de Virginie et la maladie corticale du hêtre, tous les parasites ne sont pas égaux. L’une des espèces présentées plus haut (cochenille du hêtre) est un horrible agent pathogène pour le hêtre à grandes feuilles et les écosystèmes et personnes qui en dépendent, tandis que l’autre (l’épifage de Virginie) est inoffensive pour l’arbre et bénéfique pour la recherche et la gestion de la conservation.

La maladie corticale du hêtre, aggravée par d’autres pressions environnementales, menace gravement nos forêts. L’épifage de Virgine est toutefois un signe d’espoir indiquant que n’avons pas encore perdu la lutte pour la préservation de nos écosystèmes.

Greg Roberts
Assistant aux opérations de terrain
Réserve naturelle Gault de l'Université McGill

Références

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